Raymond Chabot Grant Thornton c. Directeur général des élections du Québec, 2018 QCCS 5697 (CanLII)
Une partie peut-elle invoquer au procès l’irrégularité, l’erreur grave ou la partialité d’un rapport d’expertise pour en réduire sa valeur probante, même si elle ne s’est pas prévalue de ce droit au stade interlocutoire en sollicitant le rejet du rapport?
L’article 294 prévoit que les « parties ne peuvent, cependant, invoquer [à l’instruction] l’irrégularité, l’erreur grave ou la partialité du rapport, à moins que, malgré leur diligence, elles n’aient pu le constater avant l’instruction. » Selon l’honorable Jean-François Émond, j.c.s., il ne faut pas faire une lecture rigide de cet article :
« [23] Cela dit, il paraît important de mentionner que du strict point de vue procédural, la règle voulant que les parties ne puissent soulever au procès une cause d’irrégularité, d’erreur grave ou de partialité d’un rapport à moins de démontrer leur diligence n’est peut-être pas aussi rigide qu’il n’y paraît à première vue. Sur la base du troisième alinéa in fine de l’article 341 C.p.c., lequel article accorde au tribunal le pouvoir « d’ordonner à la partie qui a eu gain de cause de payer les frais de justice si elle a tardé à soulever un motif qui a entraîné la correction ou le rejet du rapport d’expertise ou qui a rendu nécessaire une nouvelle expertise », certains pourraient affirmer sans se tromper que le tribunal conserve le pouvoir et la discrétion de rejeter un rapport sur une demande tardive faite après l’inscription, voire même au procès, si l’intérêt de la justice le justifie.
[26] Si les articles 241 et 294 C.p.c. imposent le devoir de demander le « rejet » d’un rapport d’expertise pour une cause d’irrégularité, d’erreur grave ou de partialité avant l’instruction, l’on ne saurait conclure que la partie qui ne s’est pas prévalue de ce droit dans les délais prévus soit privée d’invoquer ces causes de rejet au procès pour contester la valeur probante du rapport sans demander son exclusion. Cela est d’autant plus vrai que le rapport d’expertise peut désormais tenir lieu du témoignage de l’expert[11]. Une expertise entachée d’une irrégularité, d’une erreur grave ou de partialité ne saurait avoir, à toutes les étapes du déroulement des procédures, que ce soit avant ou pendant l’instruction, une grande valeur probante. Ainsi, une partie sera toujours recevable à invoquer ces lacunes pour remettre en question la valeur probante d’un rapport d’expertise.
[27] Une cause d’irrégularité, d’erreur grave ou de partialité ne disparaît pas avec le passage du temps pendant le déroulement de l’instance.
[28] Il appartiendra toujours au juge du procès de se prononcer sur la valeur probante d’un rapport d’expertise et du témoignage de l’expert.
[29] Les articles 241 et 294 C.p.c. ne sauraient faire échec à cette règle de droit substantif qui est prévue aux articles 2843 et 2845 C.c.Q. :
2843. Le témoignage est la déclaration par laquelle une personne relate les faits dont elle a eu personnellement connaissance ou par laquelle un expert donne son avis. Il doit, pour faire preuve, être contenu dans une déposition faite à l’instance, sauf du consentement des parties ou dans les cas prévus par la loi.
2843. Testimony is a statement whereby a person relates facts of which he has personal knowledge or whereby an expert gives his opinion. To make proof, testimony shall be given by deposition in a judicial proceeding unless otherwise agreed by the parties or provided by law.
[…]
[…]
2845. La force probante du témoignage est laissée à l’appréciation du tribunal.
2845. The probative force of testimony is left to the appraisal of the court.
[30] En définitive, un plaideur averti ne devrait utiliser la demande en rejet d’un rapport d’expertise pour cause d’irrégularité, d’erreur grave ou de partialité que dans les cas les plus évidents. »