Conflit étudiant – La face cachée de la loi spéciale, Le Devoir, 2012

26 mai 2012  | Collectif d’auteurs  |  Québec

Depuis l’adoption de la loi spéciale 78, de nombreux intervenants ont dénoncé les limitations au droit de manifester qui y sont contenues ainsi que les sanctions qui y sont rattachées. Pourtant, à notre avis, une autre disposition, aussi problématique que les articles 16 et 17 de la loi, doit être signalée. 

Comme équipe d’avocats qui agit sur demande dans plusieurs recours collectifs, nous souhaitons faire état de nos préoccupations sérieuses à la suite de l’adoption de l’article 25 de la loi spéciale 78, et ce, indépendamment de nos positions individuelles sur la hausse des droits de scolarité.

Cet article permet à une personne qui désire intenter un recours collectif contre un professeur qui refuserait de donner ses cours, ou contre quiconque entraverait l’accès à des cours, de franchir l’étape de l’autorisation du recours collectif en n’ayant qu’à démontrer que « la personne à laquelle il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres du groupe ». On élimine ainsi les trois autres critères d’autorisation d’un recours collectif, qui sont pourtant plus exigeants à satisfaire, dont l’existence de questions communes à l’ensemble des membres du groupe et l’apparence sérieuse de droit.

Autorisation éliminée

C’est donc dire que l’article 25 de la loi abolit en fait l’étape de l’autorisation d’un recours collectif qu’une personne pourrait vouloir entreprendre contre un professeur, un syndicat de professeurs, un étudiant, une association étudiante ou toute personne qui contribue directement ou indirectement à ralentir ou retarder la reprise ou le maintien des cours dans les établissements d’enseignement postsecondaires. Il enlève cette étape de « filtrage » qui, pour les plus hauts tribunaux du pays, permet d’écarter les recours « frivoles et manifestement mal fondés », donc les recours qui sont abusifs.

Ainsi, en application de la loi 78, il sera dorénavant plus facile d’obtenir une autorisation d’intenter un recours collectif contre un professeur, un syndicat de professeurs, un étudiant ou une association étudiante que contre un industriel qui transgresse les lois protégeant l’environnement, une institution financière qui impose des frais illégaux ou les responsables d’une importante fraude financière.

Deux classes de citoyens

En fait, cet article crée deux classes de citoyens : ceux que l’on peut poursuivre facilement en recours collectif et les autres. Il s’agit ici d’une atteinte au principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi qui n’est pas justifiable dans les circonstances.

Aussi, l’article 25 ouvre la porte à l’utilisation de la procédure civile comme moyen d’intimidation, ce qui est, à notre avis, inacceptable et condamnable.

On reproche à la législation actuelle et aux tribunaux d’être trop permissifs quant à l’autorisation des recours collectifs. Avec cette nouvelle disposition, on propose pourtant de faciliter, voire de garantir l’autorisation de recours collectifs.

C’est ce type d’interventions législatives, à la pièce, pour favoriser une catégorie de citoyens par rapport à une autre, qui dévalorise non seulement la règle de droit, mais aussi l’un des moyens les plus fondamentaux dont disposent les citoyens pour protéger leurs droits.

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Ont signé ce texte des avocats du cabinet Sylvestre Fafard Painchaud : Pierre Sylvestre, Normand Painchaud, Catherine Sylvestre, Marie­Anaïs Sauvé, Benoît Marion, Gilles G. Krief et Alexandre Desjardins.

Conflit étudiant – La face cachée de la loi spéciale, Le Devoir, 2012
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